Le démon du bien by Montherlant Henry de

Le démon du bien by Montherlant Henry de

Auteur:Montherlant,Henry de [Montherlant,Henry de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782070361939
Éditeur: AlexandriZ
Publié: 1937-01-25T23:00:00+00:00


14

Costals rentra, et prit un somnifère (ce que Mme Dandillot, peu experte en latin, appelait audacieusement un dormifuge) : à moi, thérapeutique de l’oubli ! Pour la centième fois, couché, il résumait le dilemme : « J’aime cette fille jusqu’à un certain point, non davantage, ainsi que j’ai eu l’honnêteté de le lui écrire en son temps. Pourquoi “non davantage” ? Mettons que c’est parce que, socialement et intellectuellement, elle est trop éloignée de moi. Mettons que c’est parce que, sensuellement, elle est au-dessous de tout. Ou plutôt ne “mettons” rien. Je ne l’aime pas davantage, parce que c’est comme ça. D’évidence, un tel mariage n’a pas de raison d’être. Cependant je l’aime assez pour souffrir de sa souffrance, et en particulier de celle que lui causerait une rupture, au point où je lui ai permis de s’avancer. Mais la souffrance qu’elle éprouverait d’une rupture, à présent, ne serait rien en regard de celle qu’elle traînerait pendant des mois ou des années, si nous nous mariions. De sorte que cette souffrance immédiate ne doit pas être une objection à la rupture. Non, la seule objection sérieuse à une rupture est – qui le croirait ? – celle-ci : à la fin de tout cela il reste qu’il y a une chance, une chance sur cent mais enfin une chance certaine, que dans ce mariage nous soyons heureux tous les deux. L’unique question, aujourd’hui, est donc : faut-il jouer sur cette chance minime, ou faut-il se refuser à jouer sur elle, quitte à en avoir du regret, plus tard, aux heures noires ? Mais suis-je un homme à avoir jamais des heures noires ? Etc. »

Il se réveilla à quatre heures, et entendit la pluie s’égoutter le long de ses fenêtres : les fameux nuages d’hier avaient crevé. La pluie d’été, si étrange… La nocturne pluie d’été, pleine de présages, au dire des Anciens. Pluie nocturne de juillet, la nuit où, à dix-huit ans, il avait eu sa première femme. Pluie nocturne de juin, dans la forêt de guerre, la veille de sa blessure. Pluie nocturne d’août, à Naples, avant le matin où il reçut un coup de couteau. Pluie nocturne de septembre, quand Brunet la veille au soir était condamné (méningite cérébro-spinale), mais le lendemain à l’aurore la fièvre tombait. L’homme fort, l’homme lucide, sur sa couche tourmentée, s’abandonne aux puissances supérieures. Dès maintenant il connaît que le jour qui s’ouvre sera marqué.

Il se rendormit, et il eut alors un cauchemar comme jamais il n’en avait eu. Un être pesait sur lui, horriblement, une masse visqueuse le couvrait, collait à lui, l’enveloppait, et il luttait pour la détacher : un petit enfant qui se fût endormi avec un gros chat couché sur sa poitrine eût pu avoir un cauchemar de cette sorte. Bien qu’il dormît, Costals avait la sensation qu’il était éveillé, que ce n’était pas un rêve, et qu’ainsi il était en train de devenir fou, ou plutôt possédé, d’une possession diabolique, et c’était une chose nouvelle et affreuse,



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